Bernard Noël et la dévoration (2)
Le Château de Cène, Gallimard, 1969
Suite de l'article:
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Le viol par les molosses sur la plage
Le héros arrive sur l’île, et l’auteur fait savoir qu’il a lu Homère
Tout à coup, devant moi, je vis l'île, cependant qu'un doigt de rose au ras des flots signalait l'arrivée du matin.
La côte basse n'était qu'une marge de sable au pied d'une falaise abrupte. j'entrepris de chercher un port plus favorable, mais la falaise continuait
d'offrir le même à-pic. Je naviguais à la pointe d'un petit cap quand j'aperçus le yacht, qui devait appartenir à la comtesse. Il m'inspira une vague crainte, peut-être parce qu'il était trop
blanc: je rebroussai chemin et décidai d'atterrir sur l'étroite plage, puis de continuer à pied. Je manœuvrai donc dans ce sens et, ayant touché le sable, m'occupai à tirer ma barque pour la
mettre à l'abri. Soudain, un bruit derrière moi me fit me retourner: un nègre gigantesque accompagné de deux molosses me regardait.
Je souris à l'homme: il demeura impassible. Ses yeux et ceux des bêtes m'examinaient avec une absence de curiosité dont la froideur avait quelque chose
d'effrayant. Le soleil se levait dans mon dos; sa rougeur, en m'enveloppant, me donna du courage. Je fis un pas en avant et dis:
- Je voudrais voir la comtesse.
Les chiens tendirent le cou vers moi; l'homme garda sa pose de statue. Je repris:
- j'ai rencontré la comtesse. Je voudrais ... L'homme fit un signe imperceptible, et les deux monstres bondirent sur moi. Avant d'avoir pu esquisser le
moindre geste, je fus jeté sur le sable: l'une des bêtes me tenait à la gorge, l'autre me chevauchait. Ni l'une ni l'autre ne me faisait de mal, mais je les sentais prêtes à me déchirer au
premier ordre. La peur faisait neiger des flocons rouges dans ma gorge et dans mes yeux. Derrière cet écran, mon cerveau travaillait, cherchant le pourquoi, observant, guettant, préparant les
nerfs à lui obéir promptement. Et puis je me souvins: quoi qu'il arrive, disait-elle, serre ton ventre, respire profond, pose bien ton souffle.
Une ombre glissa sur moi: le nègre approchait; son immense stature me domina, ses yeux me fixèrent de haut, toujours froidement. Je le vis plier la jambe,
puis avancer vers mon visage un pied énorme, qu'il rapprocha lentement pour que j'aie tout le temps de contempler la repoussante pâleur de cette plante striée de rides rosâtres qui allait
m'écraser. Le pied s'arrêta à quelques centimètres de mes yeux. Il y eut une seconde d'angoisse infinie durant laquelle je fis tout pour maîtriser mon souffle et rester immobile. Le pied se
retira. Les chiens me lâchèrent.
Je me souviens. L'homme fait encore un signe. Les deux fauves reviennent à la charge. Rageusement, ils déchirent tout ce qui me protège. Je ne bouge pas. Je
sais que je ne dois pas bouger. Les chiens, d'ailleurs, travaillent habilement de la gueule et des griffes: ils ne me font aucun mal. En quelques secondes, je suis nu. Les chiens s'asseyent de
chaque côté de moi; babines retroussées, langues pendantes, ils me regardent. L'homme continue de me dominer. Sans que je bouge la tête, mes yeux suivent les trois brutes.
A l'instant où je commence à penser que l'épreuve doit toucher à sa fin, l'homme désigne mon ventre, et les deux loups se jettent sur mon sexe. Mon dos se
crispe quand les langues m'atteignent. Je retiens le cri qui a déjà roulé dans ma gorge. Ils ne vont pas me dévorer - pas encore. Il faut durer. Il faut gagner une minute.
Déjà, il ne s'agit plus de lutter contre la peur, mais contre l'abominable tentation que fait naître l'attouchement des langues le long de l'aine, au
pourtour de mes bourses, le long de mon phallus. De la nuque aux talons, je résiste. Je bande ma volonté pour ne pas bander, mais la longueur de leur langue donne aux chiens un avantage horrible:
jamais bouche n'eut sur moi pareil pouvoir. Le large fouet rose qui pend de leur gueule possède une souplesse infinie et permet aux deux quadrupèdes de m'encercler la bitte et de me fouailler le
cul avec une vigueur irrésistible. Et la bave, dont ils m'inondent en abondance, facilite leur besogne en donnant à mon bras génital l'illusion de toucher à un port désirable.
En cet instant, mon sexe était l'Autre, que la pure envie de foutre dressait bien malgré moi. La grosse veine arrière le gonflait par à-coups,
inexorablement; et j'en suivais les progrès avec une espèce d'horreur: le sentiment d'assister à quelque chose d'immonde. Quand ma pine eut atteint ses plus larges dimensions, je la vis devenir
comme un os énorme dans la gueule du chien qui la branlait. Le nègre se pencha vers moi; un vague sourire découvrit ses dents. Soudain, il tira de sa poche un poignard, et tandis que les chiens
s'écartaient d'un bond, il projeta l'arme vers mon ventre.
Un éclair. Une griffure sur ma peau. j'attends la douleur. Je n'ose pas regarder. Le nègre se redresse, me fixe au visage; le couteau prolonge toujours sa
main droite. Je ne bouge pas. Je ne bouge pas. La lame descend maintenant vers ma gorge. Je ne bouge pas. La lame est à la verticale de mes yeux. Elle tombe. Elle pique à peine le front, à la
racine de mon nez, puis remonte.
Moi aussi, j'ai à présent le regard froid. Le nègre recule. Je ne le vois plus, mais son ombre me recouvre exactement. L'air vibre, un éclair passe: c'est le
couteau qui file vers mon sexe. Nulle douleur. Je baisse un peu le menton. j'aperçois le manche du poignard qui émerge du sable, juste entre mes cuisses. Le nègre réapparaît à mes pieds: ses
dents sont plus largement découvertes.
Il siffle. Les chiens, qui s'étaient écartés, reviennent.
La main de nouveau se tend vers mon ventre, et les fauves reprennent la besogne, car l'os a perdu beaucoup de son ampleur pendant tous ces jets de poignard.
Les langues donc raniment ma honte, et je regarde mon ventre dresser le mât. Je vois. Je me vois en train de voir. Étrange distance à l'intérieur de moi, et qui contient le foyer des miroirs où
mon image se recrée - image brisante à travers laquelle mon futur saigne déjà dans mon présent.
Je bande. Tout à coup je l'accepte. Il faut brûler le feu. Je me cambre au-devant des gueules. L'une des langues frétille sans trêve de mes couilles à mon
cul; l'autre s'enroule autour de ma foutoire, l'enveloppe, la serre, la presse, fait merveille. Et je me laisse aller: je deviens naturel dans l'horreur, puisqu'après tout c'est aussi la nature.
Pas de limite, crie en moi une voix très ancienne; pas de limite, sinon pour en jouir.
Ce que je subis excède tout ce que j'étais capable d'imaginer, et il me semble, étant, maintenant, branlé par deux chiens, avoir passé le comble, aussi cela
me rassure-t-il et suis-je en train de m'abandonner au plaisir sans me douter que l'impossible appelle l'impossible. Pour que ma conscience se réveille, il faut que m'éclaboussent des gouttes
d'une liqueur musquée, et qu'elles m'obligent à constater que je ne suis pas le seul à bander: sous le ventre des monstres s'allonge en effet une pine dont la rougeur et le méat juteux ne
permettent aucun doute sur le degré de leur excitation. Ces engins, d'une minceur assez répugnante, gonflent, je le sais, considérablement durant l'action, une fois qu'ils sont engagés dans le
vase, au point même qu'un dur labeur et beaucoup de temps leur sont nécessaires pour en refranchir le col. Pour l'heure, ils sont doués d'un mouvement incessant, qui les projette hors de leur
fourreau poilu et les y remet aussitôt. Je ne puis guère me faire d'illusion sur le projet qui les anime, mais ce que j'ignore, c'est qu'un être à leur race étranger a élargi le champ de leur
instinct en y ajoutant un peu de son imagination.
Je commence à le deviner quand l'un des monstres, celui qui fait des prodiges de langue au service de ma queue, change brusquement de position sans lâcher
son objet et vient se poser au-dessus de moi: pattes arrière de part et d'autre de ma tête, bourses à la verticale de mes yeux. Sa pine goutte maintenant sur mon cou, ma poitrine, cependant
qu'elle rentre et sort à un rythme accéléré. De plus, dans son excitation croissante, l'animal se met à gratter si violemment le sable que j'en suis bientôt couvert. Le nègre pousse alors un cri
bref; le fauve hésite, comme s'il réfléchissait, puis il s'accroupit un peu, frotte son fourreau velu contre mon visage, fait le doux. Ses cuisses et son arrière-train sont pris de tressautements
bizarres; ses couilles me giflent, il halète. Je comprends qu'il voudrait enconner, qu'il cherche un trou. Je crie:
- Non, non!
Un coup de pied du nègre me fait taire, et d'ailleurs l'autre chien redouble d'ardeur: sa truffe humide se glisse entre mes fesses, renifle l'anus, le
fouille à grands coups de museau, puis sa langue s'acharne, tournoie, humecte, veut forcer le sphincter. Ma bitte bat à se rompre; l'envie de foutre anesthésie toute réserve.
Mon chevaucheur fléchit les pattes, pose sa poitrine sur ma poitrine, soulève légèrement l'arrière-train et pointe carrément sa pine vers ma bouche. Je
revois ma mère: odeur de sauvagine, disait-elle en détournant la tête .. La lance du monstre est contre mes lèvres; elle y l cogne par saccades régulières, les inonde d'un lubrifiant au goût
âcre, les force, glisse entre la mâchoire et la joue, caresse si heureusement la gencive que mes dents se desserrent. Et j'ai dans la bouche cette chose inconnue, cette horreur, cette partie
honteuse, et voici que je ne trouve en moi ni honte, ni horreur. Seigneur, pourquoi m'avez vous abandonné? Pourquoi dois-je apprendre aussi crûment qu'un chien vaut un prêtre et que n'importe qui
peut m'initier à votre absence? Maintenant, un doux va- J et-vient écrit sur ma langue que tout dogme est méprisable, puisqu'il châtre l'imagination et par conséquent interdit
l'Expérience.
L'écriture me presse, ma langue se décide: elle explore le gland, le sillon qui le souligne à peine, le méat baveusement amer. Le chien se cabre, attentif.
Sa langue s'immobilise. Alors la mienne se décide: elle se creuse, ondule, provoque, salive, frétille, lèche. Un long frémissement parcourt la bête, qui s'arque vers ma bouche. Mais tandis que
nous nous préparons ainsi au combat, l'ombre du nègre nous couvre. Vient-il nous observer de plus près ou m'arracher à mon amant? Déjà, je grogne de fureur à cette idée, car nul mot désormais ne
peut franchir mes lèvres, trop occupées à sucer la chose qui, entre elles, glisse et reglisse. Je loge sous mon palais une caresse, dont je rêvais depuis longtemps sans savoir ce que signifiait
le rêve. Mais voici que dans ma bouche, la chose s'arrondit, fait boule, gonfle; ma langue, dirait-on, est plaquée au sol, mes mâchoires se distendent obligeant mes lèvres à dessiner le 0 le plus
stupéfait qu'elles aient jamais décrit. Je suffoque, le nez perdu dans la fourrure; je suffoque, j'agite bras et jambes comme l'inexpérimenté nageur qui, croyant travailler à son salut, ne
travaille qu'à sa perdition.
Le nègre devait guetter cet instant. Je l'entendis écraser le sable autour de moi, puis chasser violemment le chien qui fouissait mon cul - et qui hésita à
lâcher prise, car sa langue, justement, faisait des progrès. Le nègre, ensuite, prit mes pieds, releva mes jambes, les noua autour du cou de l'animal avec lequel j'étais embouché; il avança,
saisit mes mains, les noua pareillement sur la croupe de mon chevaucheur, et je me trouvai ainsi suspendu sous son ventre. Le nœud dont ma bouche était trop pleine me liait d'ailleurs encore plus
sûrement que mes membres.
Il y eut un cri guttural, et le chien aussitôt partit à fond de train. Mon dos frôlait le sable, se déchirait parfois contre un galet; des flammes
m'enveloppaient; l'air se froissait à mes oreilles. Mon cœur était dans ma gorge. Et cependant que je périssais d'asphyxie, je ne percevais rien d'autre que les battements insensés de la pine du
chien dans ma gueule et l'enflure de la mienne dans sa bouche. Hécate battait la campagne avec ses monstres; le croissant était noir à son front, et mon corps, simple croissant tendu entre deux
cavités buccales, était noir lui aussi. Quelle ombre sur le seuil, tout à coup; la cage est si étroite: le cœur va se taire. L'air vrombit maintenant; je n'avais jamais soupçonné ses capacités
océanes, son pouvoir de déferlement. Du haut du ciel, roulent vers moi de grandes vagues aux flancs noirâtres, qui creusent d'épouvantables creux où nous tombons. La dernière me noie.
Quand je revins à moi, les deux chiens me regardaient: l'un était assis, tranquillement, langue pendante; l'autre s'énervait après les filaments blanchâtres
qui lui pendaient au menton. Un peu en arrière, très droit, jambes écartées, le nègre me surveillait. A l'instant où nos yeux se rencontrèrent, il bougea, s'avança vers moi, se pencha, me prit à
la nuque, me souleva, me traîna, me jeta à la mer d'une poussée brutale. Le choc de l'eau me rendit au présent et à moi-même. j'avais soif, comme après l'avalement d'un plat très épicé. Je me
lavai, m'ébrouai, puis revins vers l'homme et vers les bêtes.
- Je veux voir la comtesse, dis-je.
Un éclair de haine brilla dans l'œil du nègre. Les chiens se jetèrent sur moi en aboyant, et de nouveau me firent rouler à terre. Le chien qui s'était
contenté de me lécher le cul avait l'air beaucoup plus excité que son confrère: il limait à toute vitesse dans son fourreau, et cette fois s'occupait de me durcir la bitte. Résigné à une
réédition de la chevauchée précédente, je décidai de me laisser aller et d'accepter le rituel. Mais dès que j'eus atteint l'état propice, le chien, au lieu de venir me flatter la bouche de la
pointe de sa lance, me tourna brusquement le dos. Hébété par mon propre désir, je restai au sol, le mât dressé et luisant de bave au soleil. Le nègre hurla, puis voyant que je ne réagissais
toujours pas, il vint me prendre sous les aisselles, me jeta à genoux, saisit ma queue dans l'une de ses énormes mains et de l'autre fit se rapprocher le chien en rut. L'animal, parfaitement
stylé, recula aussitôt vers moi tout en fléchissant les pattes de derrière pour mettre son cul à la bonne hauteur. Le nègre dirigea alors ma pi ne vers l'anus de son favori tout en m'obligeant à
saisir des deux mains sa foutoire en mouvement. Le monstre s'empala d'un coup sur moi, et me baguant la hampe de toutes ses forces, entreprit de me tirer mon foutre. Cependant, comme mes mains ne
lui rendaient guère la pareille, le chien m'adressa un regard étonné puis gémit dans la direction de son maître. Ce dernier, voyant qu'il me fallait un adjuvant, prit son poignard par la lame et,
d'un coup, en enfonça le manche dans le trou de mon cul. Quelque chose d'étrange survint alors dans mon ventre, où s'irradièrent contradictoirement une douleur terrible vers la partie violée et
un plaisir également terrible vers mes couilles, si bien que je m'employai, de toute ma vigueur, aussi bien à foutre qu'à branler. Ma liqueur jaillit en même temps que celle de la bête, qui se
dégagea en hurlant, et je tombai, le front contre le sable, prosterné devant l'infini que m'ouvrait cet instant. Cependant, mon cul toujours emmanché faisait le beau et tendait sa lame au
soleil.
Le nègre me releva:
- Vous désirez voir la comtesse?
Je le fixai droit dans les yeux et ne répondis rien. Puis, comme apparemment, il continuait d'attendre, je retroussai mes lèvres pour qu'il voie bien mes
dents serrées.
- La comtesse sera heureuse de vous voir ... Elle vous attend, et je vous attendais pour elle.
Il me fit pivoter doucement, retira l'arme qui m'empalait, me désigna la mer:
- Vous devriez vous laver de nouveau.
Le corps très droit et d'un pas raide, je me dirigeai vers l'océan, me baignai longuement, puis revins vers le nègre.
- Si vous voulez bien me suivre ...
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Enfin du sang et de la dévoration !
Le héros se trouve avec un grand nègre dans une colonne transparente qui est l’ascenseur, non vers l’échafaud, mais vers la « belle à
mourir »…, belle qui, devant nos yeux ébahis, va faire lâcher ses « bêtes à tuer », sur un individu « bête à mourir », tandis qu’elle fait préparer par un nègre celui
qu’elle se réserve, notre héros, ….
Il y eut un revirement, et je vis la meute filet d'un seul élan vers un point du mur circulaire qui venait de s'éclairer .. Là aussi, il y avait une colonne
transparente, et deux hommes s'y trouvaient: un noir qui ressemblait à mon gardien, et un jeune homme, qui me ressemblait et qui, comme moi, était nu. Le noir s'adressa au jeune homme, celui-ci
lui répondit et, aussitôt, fut éjecté de l'habitacle et précipité parmi les chiens.
A la même seconde, mon nègre se pencha vers moi. Sa bouche lippue courut sur mon ventre, aspira ma pine, tandis qu'éclatait dans notre loge un immonde
concert de cris et d'aboiements. Mon double était la proie des chiens. Je les voyais se lancer sur lui, arracher un lambeau de chair, le déglutir à l'écart, puis retourner à la curée. Non
seulement je les voyais, mais les parois de la cellule grossissaient, me semblait-il, le spectacle. Le malheureux gesticulait vainement: il ne pouvait rien pour se dégager. Les muscles qui
pendaient autour de son humérus droit évoquaient d'horribles pétales et composaient, avec ce pistil sanguinolent, la plus atroce fleur de chair. Un dogue noir se dressa contre le jeune homme et
d'un seul coup de ses pattes de devant arracha toute la viande de la poitrine, si bien que je vis apparaître, le temps d'un éclair et justement dans une lumière de foudre. la blancheur des côtes
avant que tout ne fût noyé dans un affreux bouillonnement de sang.
Entre-temps, la bouche de mon nègre n'avait cessé de travailler ma bitte avec ardeur. Mais ses mains avaient beau être expertes et s'occuper à la fois de
flatter mes couilles et mon cul, je restais mou. J'aurais voulu - que voulais-je? Mon regard n'était pas moins violé que mon sexe, et l'horreur qui bouillonnait dans ma tête était analogue à
l'excitation qui, sans s'exprimer autrement, bouillonnait dans mon ventre. Celui qui disait « je » dans ma tête était-il identique à celui qui disait « je » dans mon ventre,
ou bien n'étais-je plus qu'un « qui suis-je? » pris entre deux feux? Dans un sursaut, je repoussai le nègre.
Dehors, les hurlements redoublaient. La victime était maintenant couchée au centre d'une grande étoile de sang autour de laquelle les monstres faisaient
cercle avant un nouvel assaut. La bouche était pleine d'un râle rauque. A travers les côtes, débarrassées de toute chair, on voyait le cœur achever de battre.
Le nègre ricana, se redressa. Ma pine était toujours flasque et couchée dans le sillon des couilles. Le nègre la regarda ironiquement.
- Allons, dit-il, vous êtes trop calme! La comtesse n'aime pas les gens de petite passion.
Dehors, les chiens avaient décidé d'en finir. La place du jeune homme n'était plus signalée que par un grouillement de gueules, de membres, de pelages
sanglants. J'entendais les os éclater, les mâchoires broyer. Soudain, un grand fauve émergea de la masse et se précipita vers notre habitacle: il tenait entre les dents la tête de la victime. Il
s'assit, plaça l'horrible chose sanglante entre ses pattes, lécha le sang. Il n'y avait plus de nez, plus de joues et le crâne avait été scalpé, mais les coups de langue découvrirent les yeux,
intacts dans les orbites et animés encore d'un regard vertigineusement serein. La langue faisait avec délices le tour de ce regard. Elle s'insinua dans l'orbite et l'œil droit jaillit, me fixa,
puis glissa dans la gueule, où je l'entendis éclater - et l'eau de l'œil coula, se mêla à la bave. L'autre orbite fut pareillement vidée; la lècherie continua; l'os devint blanc.
Et puis, ayant longuement assuré le crâne entre ses pattes, le chien le brisa d'un grand coup de mâchoire, qui fit exploser le cerveau contre ma vitre, où il se répandit comme
un jet de foutre.
La vision débrida ma conscience. Comment dire cela?
J'étais heureux. Je bandais d'horreur et j'étais heureux. Je venais de sortir du tombeau. Je me tournai vers mon bourreau. Je regardai ses yeux, et derrière
ses yeux, je me vis. L'eau de cet œil aussi était à la fois baveuse et transparente. Je voulais dire: ru es moi, et lancer ces mots dans son oreille, comme un dé dont je ne savais laquelle de ses
faces il allait retourner. Mais lui se jeta à genoux, et déjà il enfournait ma pine dans sa bouche aux larges lèvres.
Il me semble que je ne sentais rien. Je voyais. C'est tout. Je voyais ses lèvres comme du sang sur le carrelage des dents. Sa bouche était la chambre où l'on
m'avait tué, mais où je ne mourrai pas - où je n'arrivais pas à mourir. Et en enfilade, il y avait d'autres chambres où des chiens mordaient, où des rabots faisaient voler la peau, où des bâtons
faisaient enfler des têtes. Je voyais courir tout cela comme courent des rides sur de l'eau. Je voyais la bouche devenir une orbite, et ma queue, là dedans, faisait exploser l'œil. Alors, j'eus
envie de boire l'eau du dernier regard, et je me penchai, mais il y eut un éclat de lumière sur l'os qui m'enserrait, et soudain je me trouvai jeté hors des images.
Les chiens ne hurlaient plus. Ils s'étaient accroupis et croquaient les os. Il y avait des grincements, des brisements, des éclatements; il y avait des jets
de moelle, des succions, des lapements. Ces bruits m'arrivaient par ondes, l'un pressant l'autre, mais chacun bien distinct, et ce n'est pas mon oreille qu'ils frappaient - non, ces bruits
ruisselaient sur moi, ruisselaient le long de mon sexe qu'ils tendaient: ils étalent la salive de ce désastre, qui mouillait l'espace tout entier. Cependant les chiens faisaient disparaître
l'étoile rouge, et le croqueur de crâne achevait de lécher ce qui,' avait rejailli sur la vitre.
Et tout à coup je tombai dans le silence: il y avait des yeux de bêtes, des crocs, des langues rouges, mais tout cela s'était immobilisé, et de l'une à
l'autre de ces choses une figure bizarre était en train de se cristalliser - la figure d'une main. J'étais dans la main de la mort, et je m'y faisais sucer.
Plus tard, j'entendis comme un remous, c'étaient les chiens qui se couchaient autour de l'habitacle, c'était la langue du nègre qui se coulait autour de moi.
Et voilà que l'air devint rouge, non pas comme est le sang, mais comme est ce que l'on porte au rouge. Quelque chose en moi explosait, puis se recomposait, puis explosait encore, quelque chose
qui montait des reins à la nuque. Alors, à deux mains, je pris le nègre à la chevelure; à deux mains, je plaquai sa tête contre moi, et poussant de toutes mes forces, je tentai de pénétrer sa
gorge. Je voulais l'empaler par le haut, l'étouffer, le suspendre à jamais à mon croc. Je voulais. Je voulais aussi qu'il me broie. Je voulais être moulu entre ses dents. Je voulais voir la
bouillie sanglante couler de sa bouche, et je voulais me voir, en guise de bénédiction funèbre, aspergé d'un long vomissement de viande mâchonnée, de bave et de foutre.
La sueur perlait à grosses gouttes sur la nuque du nègre, mais il ne semblait pas souffrir autrement de ma pénétration profonde dans sa glotte. Et cependant
qu'il suçait avec une espèce d'application terrible, je revis l'Autre. Il était à présent consommé. Il était une image parmi les images. Mais je sentis que mon sexe, dans cette bouche, était sa
répétition. Alors, une nouvelle rage me vint, et j'entrepris de marteler la misérable caboche, comme pour lui faire rendre sa cervelle en même temps qu'elle me tirerait ma semence. Et ce fut de
nouveau le rouge. J'étais, le monde était, un gigantesque anus rouge qui chiait l'Autre vers le ciel. Mais cette défécation m'aspirait moi aussi: je tombai, je tombai vers le haut.
J'étais en train de me vider dans la gorge du nègre.
J'étais aussi un arbre en train de perdre ses feuilles. Je me souviens. Je me suis dégagé. J'ai regardé la barrière transparente, regardé, regardé ... Le
nègre, soudain, a cassé ce regard en se redressant. J'ai vu sa bouche, et elle saignait blanc. J'ai vu pendre à ses lèvres des filaments blanchâtres. Et aussitôt, je me suis jeté sur mon suceur,
et j'ai collé ma bouche à sa bouche pour connaître enfin le goût de ma vie. Mais j'ai seulement senti bâiller contre mes lèvres la fente du monde.
Plus tard, le nègre me sourit:
- il était beau, dit-il. Il a beaucoup insisté pour voir la comtesse. Il l'a vue maintenant.
Son rire éclata dans l'habitacle - un rire vulgaire dont le scandale fêla mon cœur; mais je sentis que par cette blessure l'épanchement de mes songes dans la
vie extérieure allait devenir naturel. Et que le temps de la vérité irait ainsi se rapprochant, puisque la vérité n'est que la réalisation de l'imaginaire. Je m'aperçus alors que nous flottions
dans un espace laiteux, et que cette lumière de lait, en coulant sur la peau noire de mon compagnon, lui donnait un velouté adorable. Le temps se dilatait, nous montions à travers la colonne
transparente.
P84
"Le discours ne nuit pas au foutre: il l'élève de la simple activité de reproduction à la spéculation par excellence »
Après diverses aventures dans le château, dont le spectacle de la dévoration intégrale par les molosses d’un autre prétendant qu’on vient de lire, notre
héros parvient enfin à la Comtesse :
- Que pensez-vous de mes chiens?
- Ils gagnent à être connus.
- Vous verrez: il y a aussi des épreuves pour chiens et des épreuves pour dresseurs de chiens ...
Nous eûmes le même sourire. J'étais calme. Je voyais sa beauté: elle était d'être sans âge. Elle était dans la décision de la beauté. Son visage, ses gestes,
son regard étaient exacts, d'où toujours cette harmonie répandue, en même temps que cette espèce de défi, par éclats. Les yeux, la chevelure, les seins me frappaient moins tout à coup que la pose
qui produisait leur beauté. Mais la pose, je le voyais maintenant, était dictée par leur intelligence: c'était la phrase juste où s'exprimait chaque partie du corps, vivement.
- Aimeriez-vous me monter?
- Je n'ai que votre volonté, dis-je.
- Votre instrument est bien modeste en ma présence.
- Et le vôtre bien voilé, madame.
Mona se rejeta en arrière, et tandis que le dossier de son fauteuil basculait, notre abri se trouva plongé dans les ténèbres. Je me levai. J'allai me pencher
vers Mona, quand apparut à sa place un faisceau glauque, dont le vert monta peu à peu jusqu'à devenir un long cube de lumière, à la surface duquel un squelette flottait. Lentement, le vert perdit
de son intensité, et au fur et à mesure que la lumière diminuait, je vis des organes prendre place sur les os. Une seconde, la ténèbre redevint complète, puis, brusquement, tout fut comme avant.
Mona me regardait en souriant: rien ne s'était passé. Maintenant, elle tendait ses mains vers mon ventre et doucement en flattait le bas. Mon corps était partagé entre l'élan et l'hésitation, et
l'étrange était que l'un n'avait rien de moins instinctif que l'autre. Toutefois, la contemplation de Mona fit renaître le ravissement, et mon sexe grandit.
- Mon corps est le labyrinthe, dit Mona. Et voici le doigt lecteur d'énigmes.
Elle fut prise de frénésie et se mit à malaxer mon membre, mais je demeurai quand même incertain de son désir. D'ailleurs, elle continuait de
parler:
- Je voudrais me lire à travers ce qui me déchiffre.
Tout s'écrit, et cependant rien ne reste ... sauf une trace. Rien ne reste du surgissement dans le surgi. Rien que l'illusion attachée aux mots. Mon château
est mon livre.
Vous l'avez parcouru, même vous, comme un lecteur pressé par l'anecdote. Vous l'avez parcouru sans voir sa figure ... Je voudrais y former une équation
d'hommes et de femmes entre les deux parties de laquelle la conscience du gonflement du sens ne s'éteindrait jamais - et peut-être la conscience de cette montée respirante rendrait-elle
concomitants le savoir et le pouvoir. Voulez-vous tenter cela avec moi?
- Oui, mais à travers vous.
Mona s'inclina vers moi, et tandis que ses lèvres se posaient sur mon sexe, sa chevelure se répandit sur mes cuisses, sur mes hanches, si bien qu'il me
sembla être plongé jusqu'à mi-corps dans un fleuve d'or roux. Et cette vision me fascina au point que ce que je voyais devint à mes propres yeux comme une apparition: je m'apparus dans le fleuve
de la connaissance d'elle - pur spectacle où j'étais à la fois présent et absent, où j'étais tantôt moi-même et tantôt mon double. Mais alors que je m'abandonnais à cette pulsation, Mona se
retira, me regarda, reprit:
- Après le règne du Je, il va bien falloir que vienne le règne du Nous, dont le couple exprime déjà la nostalgie. Je voudrais perdre dès maintenant mon nom;
je voudrais que commence cette entreprise collective.
J'écoutais. Je désirais Mona et ce futur qu'à travers elle je croyais voir. Je n'imaginais rien. Je me tendais vers elle.
- En attendant, poursuivait-elle, je cherche à mettre au point une pratique susceptible de faire évoluer l'individu, susceptible de modifier son énonciation.
Les exercices principaux jouent soit de la cruauté, soit de la dérision, soit de la déception systématique... Il faut beaucoup de volonté pour décevoir... La déception entraîne le dérèglement des
sens : elle fêle l'écran mental habitué aux seules projections du Je, et par cette faille d'autres images passent ... ou peuvent passer. La déception est analogue à la cruauté: elle est, par
rapport à elle, la violence froide ... Les femmes savent cela d'instinct. Le vagin est un phallus déçu, et que sa déception a retourné. Le Nous le dépliera ...
Mona reverse sur moi sa ruisselante chevelure; sa bouche me reprend, et je ne sais pourquoi j'ai soudain besoin d'affirmer:
- j'ai vu la blancheur de l'os au fond de la plaie; j'ai entendu l'œil exploser sous les dents; j'ai vu la fleur de chair saignante; j'ai vu la giclée du
cerveau ...
Mona se recule, me regarde au visage, dit:
- Un jour, on fixera entre mes cuisses une ridicule foutoire en bois, et je viendrai vers toi, et de deux coups de reins je crèverai tes yeux, et tu jouiras
pendant que j'enfilerais les trous sanglants.
Je bande. Mona me regarde toujours au visage. Le désir me soulève, me tend vers elle. Sa bouche me reprend, m'enveloppe d'un tourbillon humide, serre ma
hampe. Je me cambre et je vois: je vois que je travaille à trouer le visage de la beauté. Je me cambre davantage, mais à l'instant la bouche me dégorge:
- Vous êtes bien membré, déclare Mona, mais cette matraque vous gêne car nous avons encore à parler: je vais vous faire achever par l'un de mes amis.
Elle appuie sur un bouton, et bientôt je vois glisser sur le seuil une grande ombre.
- Voici Kao, dit Mona. Un gigantesque singe entre.
- Un nouvel ami fait-elle, en me désignant au singe, qui me tend la main. Je réponds à l'étreinte de la poigne, puis retourne m'asseoir dans mon
fauteuil.
Le singe s'accroupit devant moi.
- Kao, lui dit Mona, mon ami a besoin de toi. Le singe se penche vivement et d'un coup, enfourne
ma pine dans son énorme gueule, cependant que Mona continue:
- Kao est mon favori. Il ne s'éloigne jamais de mon ombre. Il est irremplaçable. Quand j'ai besoin de femmes Kao pan en campagne; quand j'ai besoin d'hommes
Kao pan encore en campagne. C'est à la fois la tête et les membres de ma garde privée.
Tourné vers Mona, j'essaie de lui présenter une figure attentive. Le singe, tout en travaillant ardemment de la gueule, tantôt me dévisage de ses petits yeux
fureteurs et cruels, tantôt louche désagréablement vers mon bas ventre.
- Kao, poursuit Mona, Kao a une denture divine: je n'emploie jamais d'autre sécateur pour ma cuisine.
Elle me sourit. Moi, dans un grand effort et sans quitter son regard, je me cambre pour offrir plus de commodité aux caresses du singe.
- Plus vite, dis-je à la bête, plus vite.
Et, de la main, j'entreprends de lui flatter le menton et les babines, cependant que je lui fourre dans la gueule tout mon instrument. L'animal, bien que je
lui braquemarde la gorge, semble apprécier l'intention. Ses lèvres pendantes font un bruit inquiétant de déglutition; je me souviens d'une promenade dans un marais, où chacun de mes pas
déclenchait à peu près le même bruit. Je me souviens. Je me promène dans la bouche. La langue s'est enroulée autour de ma hampe. Les papilles sont mille petites ventouses suceuses. La salive
couvre mon ventre, mes cuisses. Un arbre pousse au bout de moi. Ses feuilles cherchent le soleil rouge; ses racines pompent mon sang. Je regarde fixement Mona; j'essaie d'avoir le visage léger;
je dis:
- Sa salive ne vaut pas la vôtre, madame, mais sa langue a presque un pouvoir supérieur à celle de vos chiens. Pourquoi ne pas faire plaisir à votre
King-Kong? Vous devriez lui mettre un peu la pine en branle.
A mon étonnement, Mona se lève aussitôt docilement, vient s'agenouiller auprès de la bête et commence de lui masser le membre.
- Regardez, fait-elle, voici une chose hors catégorie, c'est sûrement ce qu'on appelle l'idéal.
Mona appuya son front contre le flanc velu et s'appliqua à régler le rythme du va-et-vient de sa main sur celui de la respiration de l'animal. Les yeux de ce
dernier brillaient, mais sa gueule travaillait plus lentement. Le couple inattendu que j'avais à mes pieds me faisait penser aux couples de donateurs qu'on voit aux vitraux des églises. La grâce
montait-elle des mains de Mona jusqu'à mon vit, ou bien de lui, et à travers la bête, descendait-elle jusqu'aux mains de Mona? Le spectacle, en tout cas, me donnait un avant-goût du corps
mystique.
Mona releva le front, me sourit, et le nimbe que lui faisait sa chevelure me parut en effet la doter déjà de qualités célestes.
- Il faudrait, dit-elle, que je vous conte l'histoire de Kao ... Le discours ne nuit pas au foutre: il l'élève de la simple activité de reproduction à la
spéculation par excellence ... Je faisais un voyage en Afrique du Sud. Un jour, bien que je ne m'intéresse pas aux rumeurs d'un pays où, justement, l'on ne spécule pas, ou seulement sur le tarif
des bêtes, je fus saisie par la physionomie de singe qui ornait toutes les premières pages. Je me fis traduire le jargon: il s'agissait d'un certain Kao, singe de cirque, qui faisait scandale. Il
se livrait, disait-on, à des exhibitions choquantes, bonnes tout au plus pour un public de brousse. Il fallait que l'autorité sévît. Je crus d'abord à quelque machination destinée à justifier
l'ardeur policière, puis ma curiosité se piqua, et je décidai d'aller voir. On s'arrachait les places; j'eus la mienne à prix d'or. On vit, pour commencer, ce qu'on voit toujours: des jongleries,
de la gymnastique, des sauts de la mort; puis quand le spectacle du danger eut bien surexcité la salle, < Kao, Kao, Kao >, se mit-on à hurler de partout, Il y eut des roulements de tambour,
des cris de trompette, le silence. Arrivèrent trois chevaux blancs empanachés, montés par trois donzelles aux couleurs que l'on prête à la lune. Cela, naturellement, se mit à caracoler, à faire
des mines et des grâces, tout en voltigeant de croupe en crinière. Je ne comprenais pas la tension dramatique qui montait dans la salle. l'allais même sortir quand apparut le grand singe. Il
bandait royalement. Un projecteur désignait sa foutoire, que l'on avait enduite pour la faire briller. Les chevaux accélérèrent. Il y eut un ballet de froissements d'air, de pinceaux de lumière
parmi lesquels les écuyères semblaient faire la scie. Le singe tournait lentement autour de l'arène. De temps à autre, il martelait sa poitrine, et l'on entendait battre le cœur des femmes, car
il régnait un silence fantastique. Cette espèce de ballet se prolongea longtemps, puis Kao bondit en direction d'une écuyère, qui fit détaler sa bête au grand galop. La poursuite fascinait la
salle. Enfin, d'un grand élan, Kao fut en croupe, et, dans le même mouvement, il éleva l'écuyère au-dessus de sa tête, la maintint d'une main cependant que, pivotant sur l'autre, il changeait de
position et tournait le dos à la course pour que l'envol de la crinière ne dissimulât point son érection. Alors, quand il se fut bien calé, toujours brandissant son écuyère, on le vit effeuiller
les habits de cette dernière et les lancer un à un vers les quatre axes de la salle. Ensuite, des deux mains, il saisit l'écuyère aux hanches, lui écarta les jambes d'un habile coup de menton,
les disposa de pan et d'autre, talons sur les épaules, et, la tenant ouverte à bout de bras, il éleva sa fente vers la foule, puis l'abattit d'un coup vers sa machine où elle s'empala. On
entendit un cri. La robe du cheval se tacha de rouge ...
Kao écoutait. Quelque chose flambait dans ses yeux.
Sa langue m'aurait trop promptement arraché du foutre, si bien davantage et à contre-courant, je n'avais joui de la contemplation de Mona, discourant tout en
branlant son ami singe, dont la foutoire prenait des proportions extravagantes.
- J'ai oublié de dire que l'écuyère était noire ... Un soir, alors qu'il était déjà normalement lancé à la poursuite de sa proie, Kao saisit brusquement une
Blanche du premier rang, bondit avec elle en croupe, l'effeuilla, lui fit le coup de l'écuyère ... On réagit trop tard ... Le scandale fut terrible. Il me permit d'acheter Kao, que je sauvai
ainsi du peloton d'exécution ... Kao comprit évidemment, car il me fut aussitôt très attaché. Je l'emmenai passer des vacances en mer, puis mon yacht alla mouiller sur une côte peu fréquentée des
Blancs. Kao put courir la campagne, et il me ramenait chaque jour un hommage: parfois un onagre, une girafe, plus souvent de belles négrillonnes, dont je devins friande. Les tam-tams annoncèrent
la venue d'un dieu amateur de jeunes filles; le sang de poulet fuma sur les autels; on tira des présages des branches cassées et de l'herbe foulée par Kao, mais tout cela désignait la mer et s'y
perdait. Enfin, lassée de tant de négritude, je fis lever l'ancre et rentrai ici avec ce bon gardien ...
L'urètre de Kao moussait avantageusement. Sa chose ressemblait à présent au phallus de Délos avant sa réduction chrétienne ou barbaresque, et la main de Mona
ne couvrait que la moitié de la rondeur. Je bandais toujours à pleine peau, mais ne me sentais plus en danger de perdre prématurément ma semence.
- Vous voyez, cher, une fois qu'une femme s'est emmanchée sur cet appareil, elle n'espère plus grand chose des mâles de son espèce. Le problème est qu'il y
faut une pointure d'accouchée, ou bien une certaine préparation ... Kao est le degré suprême du fouting ... Avant Kao, il n'y avait rien; après Kao, il n'y a plus rien ... Kao est mon instrument
- l'instrument de ma faveur ou de ma disgrâce... Kao est mon pal, et Kao a maintenant l'intelligence du pal, qui sait faire durer sa victime. Kao est insensible, sinon à ma colère, et à défaut
d'écuyères, il ne prend plaisir qu'aux juments. Il faut le voir foutre ses amantes à la course, dans un nuage de cris et de poussière, qui fait se ruer toute l'île au spectacle. l'ai dû
d'ailleurs limiter les séances publiques, car chaque fois c'était une hécatombe: les femmes, prises d'hystérie, se roulaient par terre, s'arrachaient les cheveux et les poils, s'usaient le sexe
sur les pierres ou bien s'empalaient sur les piquets de clôture et les supports de vigne. Aux hommes qui n'allaient pas assez vite à les foutre, elles mangeaient les couilles et les yeux: ..
Quand Kao fout publiquement, c'est comme l'entrée d'Héliogabale à Rome. On voit des rondes s'enculer, des femmes boire du sperme par tous leurs orifices, des jeunes gens se jeter sous les sabots
de la jument, et moi, il m'arrive de lâcher dans cette mêlée mes chiens et mes serpents pour qu'il n'y ait plus de limite à la folie collective. Alors, le foutre et le sang mouillent la terre, et
le piétinement terrible qui malaxe cette boue vivante fait monter à la surface de la pâte de grosses bulles, qui éclatent comme des yeux. Et là-dessus, quel merveilleux soleil, le soleil des
arènes... vous verrez ...
Mona haletait, et son corps se balançait d'avant en arrière pour suivre le long mouvement qu'exigeait à présent la montée et la descente de ses mains d'un
bout à l'autre de la pine du singe. La fatigue et l'exaltation creusaient ses traits, faisaient briller ses yeux; j'aurais voulu la retenir et à la fois j'étais heureux de la regarder s'épuiser
au service de la bête. Soudain, je dis:
- Ne pourriez-vous le faire achever par quelqu'un?
- Imbécile! hurla-t-elle, Tu verras quand je ferai grandir ça dans ta bouche! Sais-tu à quoi ressemble un visage fendu jusqu'aux oreilles? Ensuite, on coupe
la mâchoire inférieure, et chacun vient pisser dans le trou.
Kao venait d'immobiliser sa bouche, où tout mon appareil était engagé. Un éclair de méchanceté illuminait ses yeux. Je sentais les dents appuyer sur le bas
de ma hampe. j'avais peur, comme au bord d'un gouffre. Mona éclata de rire;
- N'oubliez pas que nous sommes amis, et d'ailleurs vous n'êtes pas au menu.
Kao cracha ma pine et se redressa, dominant Mona qui inclina vers son visage l'énorme sexe. Un moment, les mains nouées autour du gland, elle contempla
l'orifice de l'arme, puis se leva et regagna son fauteuil.
- j'aimerais, dit-elle, que vous enfiliez l'urètre de Kao, si je n'avais peur que vous ne l'abîmiez. Mieux vaut qu'il aille retrouver ses juments.
Elle fit un geste, frappa dans ses mains, Kao gagna aussitôt la porte et disparut.
- Mais vous-même, dit-elle, qu'allons-nous faire d'un aussi gros gressin?
Ma pine, comme empesée par la bave du singe, était formidablement raide. Son ombre marquait l'heure sur mon ventre. Je rêvais d'un midi au soleil de Mona. -
Voulez-vous un anus, une bouche, un vagin? Vous pourrez même choisir l'âge et la couleur.
- Puisque nous sommes amis, madame, vos deux pieds pourraient suffire à mon plaisir.
Mona se pencha, puis lança vivement vers moi sa main droite: il en jaillit une lanière qui me cingla en pleine poitrine.
- Merci, dis-je. Si vous commenciez ...
Mona sourit, se rapprocha, leva les jambes et les fit glisser le long de mes cuisses, jusqu'à ce que ses talons aient pris appui contre l'aine. Alors, les
deux creux m'enveloppèrent d'une ferme caresse dont je facilitai le va-et-vient en y participant.
- Parfait, dis-je, mais pourquoi voiler mon horizon? votre mont de Vénus y ferait merveille.
Les jambes se raidirent, l'air siffla. Un peu de sang étoila ma poitrine. Lentement, je levai l'un de mes pieds et tentai de le pousser entre les cuisses de
Mona. La lanière, par trois fois, mordit mon cou et mes épaules.
- Vous avez tort, dis-je, la beauté fait bander doublement, car le désir de son désir nous possède. Devant ta beauté, j'ai besoin de dire Nous; devant ton
sexe, c'est seulement Je qui crie de faim. Devant ta beauté plus ton sexe, je ...
- Comme tout cela est banal. Il n'y a plus de rose mystique: il n'y a que ta pine et mon trou, et nous devons seulement varier les figures pour intensifier
l'absence qui creuse l'un, que veut combler l'autre ...
Elle se raidit et sa robe parut se déchirer de haut en bas, montrant l'espace entre les seins, le ventre, les cuisses longues, mais notre position me cachait
presque tout, les genoux de Mona restant serrés pour assurer la prise de ses pieds autour de mon sexe. Je m'enfonçai dans mon fauteuil pour obliger les jambes de Mona à s'allonger, et relevant la
tête, je vis la base du triangle roux. J'accélérai le rythme dans l'espoir que le frottement des cuisses exciterait la fente et la ferait bâiller, mais les pieds me pompaient par le seul effort
du jarret contre mes propres cuisses. Mona cependant continuait de m'invectiver:
- Il faut combattre l'oppresseur avec ses propres armes; il faut retourner contre nous-mêmes ce dont nous aurions tendance à nous satisfaire; il faudrait que
nous soyons toujours un œil ouvert. Je voudrais écorcher ta queue, te mettre à vif.
Alors, sans que ses pieds cessassent de pomper, elle lança de nouveau vers moi sa lanière et frappa en plein front. Il me sembla que ma peau éclatait, mais
aussi que je voyais plus clair. La lanière rentrait, eût-on dit, dans la main de Mona et en rejaillissait avec un sifflement de vipère. Je voyais le cuir se dérouler vers moi, m'atteindre,
repartir taché de sang.
- Que diriez-vous d'un joli quadrillé? fit Mona en éclatant de rire.
- Des losanges plutôt: il y a un fou dans toute bonne tragédie.
Mon torse flamba sous les coups qui suivirent. La main s'ouvrait, se refermait: elle jetait vers moi la douleur comme on lance un yoyo. Tout à coup, je
criai. - Qu'as-tu fait de ta fente de putain?
L'air s'immobilisa, devint épais de silence. Mona me regardait au visage, et quand j'eus mes yeux dans ses yeux, j'y lus toujours la même intelligence
intraitable, mais si profonde qu'à la fois elle me bouleversait de joie et me terrifiait.
- Tu voudrais me baiser? dit-elle doucement.
Je la regardai. Je n'osais espérer. Je n'osais bouger. ]' étais suspendu.
- Viens, dit-elle encore.
Elle retira ses jambes et ramena sur elles les deux pans de sa robe, d'un geste qui me parut la pudeur même. Ses yeux me souriaient maintenant, et il y avait
sur son visage la lumière de l'amour. Je tendis mes mains vers ce visage, me levai, me rapprochai, esquissai une caresse. li neigeait de nouveau, il neigeait de la douceur. Mes mains s'en
allèrent sous la cascade rousse flatter la nuque, puis l'oreille. La bouche de Mona vint se poser au creux de ma hanche.
- Je t'aime, dis-je.
- Je vais me montrer toute à toi, dit-elle.
Elle se leva d'un seul élan, se tint une seconde contre moi, cambrée, les yeux illuminés, puis se détourna tout en faisant glisser sa robe. Je vis les
épaules et le dos inondés de mèches rousses; je vis la courbe adorable et les deux globes, puis un brusque déploiement des bras décrivit comme une roue dans l'espace, cependant que Mona se
renversait devant moi, jambes ouvertes. Entre ses jambes, il y avait une énorme tache blanche - en vérité un masque de céruse au sommet duquel la toison faisait comme un toupet. Deux gros yeux me
fixaient depuis le plus profond du ventre et entre eux, la grande bouche qui partageait verticalement ce visage était fardée de rouge sur tout le pourtour des lèvres soigneusement rasées. Dans
cette bouche, baveuse et crispée, une énorme pipe était plantée: une pipe au double fourneau.
Je savais à présent ce qu'est la violence froide. Mona se releva tout aussi brusquement qu'elle s'était renversée et dit:
- Chevalier, vous avez une triste figure, que diriez vous d'une bonne pipe?
De la main gauche, elle me fit pivoter; de la droite, elle retira l'objet qu'elle avait entre les jambes et, d'un coup, me l'enfonça dans le cul.
- Couilles devant, couilles derrière, vous voici un surhomme!
J'étais sale, sanglant, saturé; je touchais quelque chose en moi, quelque chose d'effondré - mais non, j'étais enfin en ruine, l'herbe n'allait plus
repousser, ni la mousse: je verrai ma terre brûlée -la terre nue et l'arbre -l'arbre d'os toujours dressé au bout de moi - statufié, minéralisé ... Une seconde, j'eus ce rêve blanc, mais presque
aussitôt j'en fus tiré par le bras raide qui poussait de mon ventre, et qu'excitait de plus belle ce qu'on venait de m'emboîter au derrière. Je me tournai vers Mona, la vis qui se penchait pour
ramasser sa robe, et la saisissant à la nuque et à la toison, me jetai sur elle. Ainsi, je la maintins pliée, et contrainte de me faire beau cul, elle m'ouvrit le nid charnu au fond duquel
palpitaient les fronces de l'œillet. Je poussai ma foutoire aussitôt au bord de la corolle, lançai mes hanches à toute volée et m'enfonçai jusqu'à la garde. Mona gémit, mais demeura docilement
courbée, crispant l'anus par saccades pour m'exciter. Ses mains remontèrent même le long de mes cuisses pour me flatter les fesses et manier la pipe qui m'enculait. Ce double jeu s'intensifiait
du fait que Mona le partageait, même si elle me demeurait parfaitement obscure. Je nous vois faire. Je me souviens. Le sexe bave dans ma main que le fard des lèvres a barbouillé de rouge; j'y
plonge l'autre; j'en colorie le ventre et les seins, les épaules et la ligne de nuque à partir de laquelle la chevelure renversée balaie le sol. Ma pine émerge et rentre et balance le temps. La
pression de tes mains me colle à toi, la pression de tes mains qui me travaillent au fondement. l'enfonce. Je force. Je m'enfonce, couilles choquant la bouche chaude. Je gonfle encore. Je sens la
bague et le tuyau. Je veux gonfler jusqu'à l'explosion et que mon sang transmue la fosse à merde.
Ô cul, vieux crâne chauve, quel trépan archaïque t'a fendu si profond? Ou bien ta grande fontanelle ne bâille-t-elle ainsi qu'afin de nous montrer que tu es
deux en un, avec la symétrie de tes deux hémisphères, polis comme galets et pareillement nus? Ô face austère, image blanche des fabuleuses mutations, tu flottes sur le temps comme méduse sur la
mer, méduse sèche, invariable et tellement finie que l'infini s'y cogne, faisant autour de toi cette houle invisible qui, comme par magie, tourne les têtes à ton passage! Ô face de silence,
quelle bouche cyclopéenne où la parole n'est que vent! Je te salue, car à l'heure où l'usurpatrice touche terre, ta courbe enfin touche le firmament, et tu domines, ô cul, et c'est la vérité que
tu fixes là-haut! Et ceux qui ont des yeux pour voir voient alors, au centre de leur propre raie, briller l'unique chrysostome!
Je gonfle. L'Autre ne bouge plus qu'au pourtour, par saccades, et ses pressions m'illuminent la hampe. l'ai devant moi la colonne des vertèbres, et c' est sa
cavité que j'enfile, m'imaginant y voir monter, comme le mercure au thermomètre, la lumière de notre amour. Je suis le serpent des vertèbres, le dieu noir du nadir, le contrepoids de l'autre
soleil, mais comment la flamme sombre se change-t-elle en son contraire? à travers quel oubli de soi? Et n'est-ce pas le plus grand mystère que l'oubli de soi qui vous métamorphose en quelqu'un
d'autre? Je me souviens. Vous ne bougez plus. Vos mains, cramponnées à mes fesses, me plaquent contre vous. Et vous poussez, vous vibrez, vous êtes intérieure, et mon phallus en votre cul est
comme pierre en le foyer du philosophe. Vous êtes belle: je le vois sans vous voir. Vous êtes mon équerre et l'angle où la marée déferle et roule sur soi même. Vous êtes, vous êtes là : exacte, à
fleur de peau. Vous allez monter de vous-même à ma rencontre ainsi que la buée monte de la terre. Mais où suis-je? Courbé sur vous comme l'Isis nocturne ou bien si pivotai que je ne suis que
pointe, et pointe qui vous cloue? Ou bien encore, votre cul est-il le Globe à l'intérieur duquel je joue à nous jouer, vous-même étant tout à la fois le lieu, le temps, l'action et l'assistance?
Mais vous riez soudain, et l'édifice tremble autour de moi et cela me rend l'amour que je lui fais et je vois les marches : la spirale qui descend dans votre corps, et je me dis: closes sont les
portes, mais non la faille, par où je tombe, par où toute ma nuit tombe sur votre nuit qui monte. Ô le théâtre, fourneau de la métamorphose! Et nos mains, nos mains qui rendent tout cela si
étroit et si creux, qu'il n'y a rien d'autre au monde que cette chute dedans et ce vide dehors. Mais vous riez: vous avez lu mon rêve, vous avancez les hanches pour me jeter dehors, et je vois,
de mon ventre à votre trou du cul, cette passerelle de chair qui me fit faire tant d'idées. Où suis-je? Là, debout, - me regardant sortir de toi comme un étron, et riant - riant moi aussi de me
voir tomber de si peu haut.
- Nous avons voyagé, dis-je.
- A peine, dites-vous, je suis sèche.
Et vous achevez de me chier, et vous vous redressez, et vous me regardez de votre oeil inexorable, et vous me crachez au visage, et vous êtes belle, avec
cette crête dressée entre vos jambes et ce rouge partout qui vous fait des dessins sauvages, face auxquels je me sens plus nu et tel que ces marins, descendeurs de fleuves impassibles, qu'on
allait crucifier aux poteaux de couleurs. Vous bâillez. Vous dites.
- Je m'ennuie.
Vous allez vers le lit de fourrure. Vous disposez les coussins. Vous vous allongez, face à moi. Vous me regardez. Vous mettez vos yeux dans mes yeux, pour
que je sente la distance et le froid. Vous insistez, cependant que vous vous cambrez, que vous écartez vos jambes. Vous êtes belle. Vous êtes nue. Vous ramenez lentement vos mains vers vos
cuisses. Vous les posez de pan et d'autre de la motte souillée de couleurs. Vous dites:
- Ici. A genoux. Lave-moi.
Et je dois m'avancer, m'agenouiller, courber ma tête, tendre mon visage. Vous me giflez. Vous me prenez aux cheveux. Vous lancez ma bouche contre votre
bouche basse. Vous la frottez contre elle. Vous la déchirez avec vos poils raides de fard. Vous hurlez:
- Je ferai litière à mon chat avec la sciure de tes lèvres, avec la grenaille de tes dents, avec les copeaux de ton visage.
Vous hurlez. Vous êtes belle: je le vois sans vous voir.
J'ouvre la bouche. Je sors ma langue. Je vous lèche. Mon nez vous respire. Par la fente de mes paupières, je vois que vous êtes peinte comme les vieilles
vierges, et que parmi les plaques et les écailles on voit paraître l'âme, cette peau blanche. Je lèche. Ma salive est rouge et amère. Je lèche. Votre crête s'entrouvre sur une odeur d'amande.
Vous hurlez encore:
- Langue sèche, langue minable, mon clitoris va te crever les yeux pour que quelque chose enfin baigne ma blessure.
Je lèche. Je salive. Votre main est nouée sur ma nuque. Votre fente se creuse. J'y bave. l'aspire l'intérieur de ma propre bouche pour en tirer une gorgée de
bave, que ma langue répand de haut en bas. Vous soulevez vos cuisses. Vous vous poussez à ma rencontre. Vous vous ouvrez. Vous prenez mon nez, ma bouche entre vos grandes lèvres. Vous vous fixez
à mon visage comme le poulpe au rocher. Votre bec pointe entre mes yeux. Vous criez:
- Sale chien, te voilà muselé!
Et je pense: travestissez-moi en vous, faites-moi un visage qui soit votre corps, agrandissez ma bouche de votre bouche. Et je vous souris intérieurement, et
je vous lèche, et vous baguez ma langue en crispant l'entrée de votre con. Cependant que je vous vénère ainsi, un effort maladroit chasse d'entre mes fesses la grosse pipe que vous y avez logée.
Vous ramenez vos jambes en arrière. Vous posez vos pieds sur mes épaules. Vous me projetez à la renverse, tout en explosant de fureur:
- Barbet de barbon, tu fais le clabaud par-devant et la bouche bée par-derrière! Si tu as joué au casse-pipe, je vais jouer au casse-couille! Ramasse!
Apporte!
Vos yeux sont blancs de colère. Vos genoux relevés accentuent le bâillement de votre fente. Vous jouez bien. Vous êtes si présente que j'ai honte d'être à la
renverse. Alors, je me tourne, je rampe, je ramasse la chose, je reviens, je fais le beau. Vous ne me voyez pas. Vous ne voyez que mon et votre personnage. La chose est dans ma main. Elle est
chaude encore de ma chaleur. C'est la première fois que je vois, que je touche cette sorte de masque. Cela est souple et dur à la fois. Je l'élève vers vous, une couille dans chaque main. Je l'
élève et le maintiens à hauteur de mon visage. Vous riez. Vous avancez la main. Vous caressez la hampe, et puis, soudain, vous m'arrachez la chose, vous la brandissez, vous me l'abattez sur la
tête, sur la bouche, sur les yeux, et vous riez. Vous riez. Vous dites:
- A moi la fleur des pines, tressez-m'en des couronnes, faites-m'en des vaporisateurs ...
Et vous riez, riez. Vous êtes belle. Vous me frappez encore. Votre ventre remue entre vos cuisses. Vous mettez du rouge et du blanc sur la fourrure. Vous
avez de l'écume sur les lèvres. Vous avez les seins mauves et vous montrez les dents. Vous avez cessé de me regarder. Vous restez le bras en l'air, comme si vous étiez saisie par ce qui arme
votre main. Vous regardez: c'est un phallus noir. Vous l'approchez de votre visage. Vous lâchez tout à coup sa hampe mais le rattrapez par les couilles. Vous dirigez vers moi la pointe noire.
Vous criez:
- Suce ta propre merde!
Vous lancez la chose vers ma bouche, à bout de bras et de toutes vos forces. Vous lancez mais je serre les dents. Vous tuméfiez mes lèvres. Vous lancez. Vous
lancez, et votre regard rencontre mes yeux. Vous voyez l'image et je vois en même temps que vous mon œil crevé. Vous savez aussitôt qu'à ce coup je vais ouvrir la bouche, et vous m'enfoncez la
chose dans la gorge, couilles au ras des dents. Vous me voyez suffoquer et votre œil chante. Vous avancez et reculez votre main. J'ai le goût du pal dans la bouche, le va-et-vient de sa douleur.
Vous dites:
- Ouvre les yeux!
Votre main enfonce, retire. Je salive, je fais coussin de ma langue. Votre gorge bat. Vos lèvres sont gonflées. Vos narines frémissent. Vous êtes belle. Vous
maniez la chose très régulièrement, et je la suce avec docilité. Je la suce pour que vos yeux continuent de chanter, pour que vos mamelons brunissent et soient raides, pour que la fourrure luise
sous votre ventre, pour que vous ne pensiez pas que je pense. Vous êtes accroupie. Vos genoux touchent mes flancs. Vous vous rapprochez encore. Vos deux mains tiennent le phallus noir. Vos deux
mains le placent entre vos seins qu'elles cachent. Vous vous penchez encore. Votre menton se pose sur ma tête. Mon front sent battre votre gorge. Je suce avec application. Je sens votre chaleur.
Vos mains remuent doucement. Vos mains font des caresses rondes. Vos mains font semblant d'aimer ma bouche en flattant la pointe de vos seins. Vous devenez chaude et moite. Vous m'enserrez entre
vos genoux. Votre souffle monte. Vos mains tournoient plus vite. Vos jambes se déplient et encerclent mes hanches. Vous prenez appui sur elles pour soulever votre bas-ventre et le frotter contre
moi, lèvres ouvertes et me mouillant. Vous êtes douce. Je glisse mes mains sous vos fesses pour vous aider à promener votre sexe sur ma poitrine. Vous me serrez très fort avec vos jambes. Je
dis:
- Vous êtes belle.
Vous soubresautez contre moi. Vous me frottez de chaleur. Vous gémissez. Je me lève. Je vous porte nouée à moi. Je dégorge la pine noire et conduis ma bouche
sur votre cou, sur vos oreilles. Je fais descendre le frottement de votre ventre vers mon propre ventre. Ma bitte vous attend. Vous reculez un peu comme si vous cherchiez à lui présenter votre
trou sous un angle commode. Vous reculez encore. Vous repoussez ma poitrine en vous servant contre elle de l'objet tout trempé encore de ma salive, et puis, quand vous m'avez écarté quelque peu
de vous, vos jambes me serrent plus fort et vous dites:
- Mon amour!
Et votre main droite, toujours étreignant le masque phallique, plonge entre nous, plonge entre vos jambes. repousse ma batterie braquée, enconne en vous la
grande image. Et vous vous renversez, et quand vous êtes de nouveau allongée sur la fourrure, les jambes toujours me retenant à la taille, vous me regardez au visage et vous dites:
- La tienne est blanche comme la mort, fais-moi jouir avec la noire .. ,
Vous me souriez. Vous tendez votre main vers ma main. Vous l'étreignez d'une pression comme amicale. Vous la conduisez vers la chose qui vous perce, et quand
elle y touche, vous me renversez sur vous en me tirant avec vos jambes. Vous avez su faire tomber ma bouche sur vos seins. Vous avez su me casser à genoux contre l'angle du lit. Vous vous
cambrez. Vous conduisez ma main pour qu'elle tire et enfonce à votre gré. Vous dites ...
- Mon amour ... mon amour ... le désir suprême est sans désir mon amour ... si tu nous cherchais, tu me trouverais .
Vous parlez entre vos lèvres. Vous conduisez ma main plus vite. Vous écartez vos jambes et ne me tenez plus que de la pointe du talon. Vous dites:
- Lèche fort mes seins ... mon amour ... sois la bouche anonyme ... l'acte pur que l'on fait sans agir ... mon amour, quelqu'un m'a rêvée, et moi je t'ai
rêvé, et toi tu rêveras quelqu'un ...
Vous haletez. Vous êtes possédée. Votre ventre tourne sur lui-même. La terre se lève. Vous me rêvez si fort, mon amour, que je comprends enfin comment l'on
peut accomplir sans s'approprier l'accomplissement. Vous libérez ma taille. Vous vous soulevez. Vous êtes devant moi qui ai glissé de vous et qui suis à genoux. Vous forcez mes mains à courir
plus vite, plus vite. Vous criez:
- Blessure... ma blessure ...
Vous criez, mais votre voix vient de plus loin que vous. Ou plutôt, il y a une autre voix dans votre voix : une voix qui m'entoure, qui nous entoure, comme
si votre gorge était le soufflet de l'espace. Aussi tout, maintenant, bourdonne-t-il alentour, faisant déferler vers ma bouche ce cri de plaisir qui retourne le mien et me le rentre dans la
gorge.
Et pour finir : Extrait du prière d’insérer à l’édition de poche (L’Imaginaire, Gallimard)
BERNARD NOEL
« Être inacceptable ...
Il ne s'agissait pas de faire scandale ni violence, mais de céder à l'emportement d'une révolte qui, en soulevant l'imagination, combattait la censure
intérieure et la réserve timide. L'écriture fut en tout cas un moment de jubilation et de liberté intenses, car être inacceptable conduit simplement à ne pas accepter les oppressions de l'ordre
moral et de sa propre soumission. Ce livre, poursuivi pour outrage aux mœurs, est-il devenu inoffensif? Ou bien la censure s'est-elle faite plus subtile en privant de sens - donc de plaisir -
aussi bien les excès imaginaires que les valeurs raisonnables? »
Remarques complémentaires, par Claude Lizt - Elle et Lui
Elle : La première citation est une illustration du mythe ancestral de la défloration des
vierges, que l’on retrouve dans les films « Emmanuelle » et même « Pacohontas». Remarquons que héros de la défloration de la vierge le paie assez cher : il doit « faire
peau neuve » au sens propre du terme, sous les coups de fouets. Seul cela en fera : « un des nôtres ». Avec un sens affirmé de la contraception, on retire la vierge au dernier
moment, et il éjacule vers la vraie lune. Donner la vierge en pâture à l’invité qu’on veut faire « des nôtres », c’est vieux comme le monde. Il faut remarquer que cela se passe en
pleine entente cordiale entre les deux « tribus-monde » des hommes et des femmes. Ils sont assis en demi-cercles face à face et l’action se passe à la jonction des deux cercles tandis
que les verges qui lui arrachent la peau sont tenues par les hommes et par les femmes. C’est vraiment un rite consensuel. Il est un homme, on lui donne une femme, ce sont les femmes et les hommes
de la tribu qui font ce geste. C’est une illustration parfaite du « marché des femmes ». C’est la mise en œuvre de l’exogamie. Remarquons par ailleurs, dans ce conte, que les femmes
sont censées s’en satisfaire, puisqu’elles en jouissent elles aussi. La vierge déflorée deviendra la compagne du héros. C’est le second extrait du texte.
Sur l’écriture des scènes sexuelles
Elle : S’agissant du second extrait, je me suis beaucoup ennuyée ! Il n’y a pas de
suspens comme dans le premier. Les vraies « scènes de cul » n’intéressent que celui qui les vit. Ou alors le grand frustré qui les lit en se masturbant. Dans Claude Lizt, on n’a pas
jamais une description de la mécanique, comme : « je lui enfonce le doigt ici, elle salive sur ma queue, elle trémousse du cul, elle mouille, etc… ». Ce sont les relations qui sont
intéressantes, pas les gestes. Le geste seul, même parsemé de « je t’aime », ne m’intéresse pas. La description technique des manœuvres lubrifiantes n’a aucun intérêt. En bref, la
description des gestes, saupoudrée d’adjectifs incandescents, et de zestes de : « j’aime, je t’aime, c’est bon », c’est très ennuyeux.
Lui :« Mais chez Claude Lizt dans la « scène de Fontainebleau », par
exemple » ( voir sur ce blog dans les extraits de « Le Voyage à Genève »), n’est ce pas une pure description de gestes ?
Elle : Non, et de plus, elle entre dans une histoire, elle a un sens dans le temps et dans
l’espace. C’est la fin du Voyage (ça, c’est pour l’histoire), et c’est le retour au point de départ (ça, c’est pour l’espace). Et cela donne énormément de sens à la scène. Une scène décrite à sec
n’en a pas. M’importe tout ce qui touche à la relation, à l’identifiable différence, à ce qu’ils attendent l’un de l’autre, à ce qu’ils se font… les gestes ne m’intéressent que porteurs de
cela.
Lui : En d’autres termes, il s’agit d’écrire à la fois les relations des corps, des
sensations, des imaginaires et des discours. Et tout cela ensemble doit « faire une histoire ». Pas facile….
Chez Bernard Noël, même dans la scène finale avec la comtesse, où on ne manque pas de discours, on n’évite pas une sorte de bric-à-brac de science fiction, de
sado masochisme, de nègres fouteurs, de zoophilie (molosses et gorilles), de vierges déflorées dans des cérémonies rituelles ( ici avec la relation des aventures antérieures du gorille Kaos, ce
qui reprend le thème de la première scène.). Le fil de l’histoire est de plus assez mince : l’auteur se débarrasse de la fin par cette idée, il faut le reconnaître assez plate, du
phalanstère des « sages du plaisir ».
Réel toléré et réel imaginaire
Lui : Dans les mises en scène ( en Cène ?) de Bernard Noël, le réel toléré est
relativement large, ce qui en fait un support efficace du réel imaginaire du lecteur. Quant au réel imaginaire des héros de ces scènes, il s’agit de dévoration, d’énucléation et finalement,
d’exécution. Par conséquent, c’est la limite extrême de tout réel imaginaire, puisque s’il tombait dans le réel tolérable, il mettrait évidemment fin, par la mort, à l’acte et au plaisir.